Les défis de l’international – Partie 1 | Interview vidéo de Xavier CARLIER

Interview écrite résumée | DG

Quels sont les enjeux de la gestion d’une entreprise à l’international ? (Chine & Europe Centrale)

La première chose à faire, mais c’est pareil dans tous les pays du monde je pense, c’est comprendre les vrais objectifs, les vrais enjeux. Ensuite c’est comprendre les agendas cachés des personnes. Quand vous êtes en France, vous savez à peu près ce que les personnes attendent réellement d’un projet, quels sont les tenants et aboutissants. Quand vous faites un projet Franco-chinois par exemple, l’agenda des personnes en Chine est fondamentalement différent. Il y a très souvent un enjeu politique, et l’enjeu politique on le retrouve même dans l’entreprise parce qu’il y a toujours des membres du parti communiste; vous devez le savoir et l’intégrer. Si vous ne l’intégrez pas, il y a des choses que vous ne comprendrez pas et des choses qui ne pourront pas se faire. Parmi les choses qui ne peuvent pas se faire, vous ne pourrez pas facilement employer les personnes que vous voulez. Même si vous les recrutez et que vous les trouvez parfaits, vous aurez des bâtons dans les roues pour les embaucher, ce sont des éléments importants. Donc il faut comprendre tous ces enjeux, le véritable agenda des uns et des autres.  

Aussi, il faut également que l’actionnaire, qu’il soit français ou européen, puisse admettre que sa manière de voir les choses n’est pas nécessairement la même manière, le même objectif que son partenaire en Asie. Donc le rôle du dirigeant sur place est de comprendre l’agenda caché encore une fois, de le faire remonter auprès de l’actionnaire qui finalement est le payeur et donc in fine le responsable du projet. Faire en sorte qu’il accepte ou qu’il transige, et voir les points sur lesquels il faut négocier, avancer, les points incontournables. Je pense que c’est le véritable enjeu de ces gestions qu’on peut avoir à l’étranger ; en Chine, mais également en Europe centrale, l’Europe de l’Est, les autres pays où j’ai beaucoup travaillé.  

Un autre point qui est important c’est de connaitre pour qui on travaille. Et c’est vrai que la tendance quand on est très loin, et c’est plus le cas en Chine qu’en Europe centrale, c’est de se laisser influencer finalement par les personnes avec lesquelles on travaille au quotidien. Si vous êtes dans l’agenda d’un groupe chinois ou d’un partenaire chinois, il y a des choses qu’ils veulent et que l’investisseur français ne veut pas avoir. À la fin, vous risquez d’être un petit peu influencé. Donc il faut vraiment être très clair avec qui est votre employeur finalement. Ce n’est pas seulement qui vous paye, mais c’est aussi connaitre l’objectif global du projet, s’y tenir, et avancer avec cela en tête.  

Quels sont vos conseils en termes d’adaptation aux cultures ?

L’adaptation aux cultures est un point de fond. La plus grosse difficulté du management de transition ou pas, à l’international, c’est la compréhension de la culture et l’adaptabilité à ces cultures. On dit toujours qu’en Chine, il ne faut pas que les personnes perdent la face, c’est vrai. Mais d’un autre côté, quand vous voyez un paysan en Bretagne ou en Savoie par exemple, il n’aime pas non plus perdre la face. Donc il y a des choses qu’il faut comprendre, des choses avec lesquelles il faut jouer, mais on ne peut pas non plus abandonner sa manière d’être, sa manière d’agir, sa manière de raisonner. Il faut garder sa culture, garder ses valeurs, car c’est hyper important, et travailler en intégrant les autres perceptions, les autres traductions de la culture. Au Japon et en Chine par exemple, vous aurez rarement un “non” à une question, mais vous avez des manières de savoir que la personne qui est en face, même si elle dit oui, elle ne sera pas d’accord avec cette acception. Donc il faut trouver une autre manière d’arriver à l’objectif parce qu’il y a des points de blocage, et ces points de blocage, il faut les identifier.  

Et il y a un aspect que je trouve très important, c’est de comprendre la religion des personnes. Moi j’ai ma propre religion, ce sont des valeurs auxquelles je tiens et il y a des valeurs dans d’autres religions qui sont extrêmement importantes, utiles, agréables aussi, et on peut très bien relier ces différents aspects. 

Enfin, un autre point qui est important dans la culture c’est la compréhension et l’acceptation de la RSE. Quand j’étais en Chine, en 2015 environ, les Chinois ont décrété qu’il ne fallait plus jeter ses déchets dans les rivières. Dans l’usine où j’étais, les personnes disaient que ça allait augmenter les coûts et j’ai dit oui mais en Europe, aux Etats-Unis et dans plusieurs pays c’est ainsi depuis au moins une vingtaine d’années et si on continue à polluer les rivières, où allons-nous ? Et là c’est également un long cheminement et ce cheminement il faut le faire passer et le faire comprendre.  

Pourriez-vous nous citer deux exemples de restructuration à l’international ?

Je vais vous présenter deux exemples. 

Le premier exemple c’est au Qatar. C’est une société qui était dans un business model que je connaissais très bien. Au Qatar, il y a eu un embargo donc les produits avaient d’énormes problèmes et on a fait appel à moi pour aider le dirigeant de la filiale qatarie, qui était également le fils du fondateur. Tout le monde mettait l’embargo en avant comme si cela pouvait tout expliquer. Et finalement en arrivant, il a fallu faire du coaching de ce jeune homme, qui était convaincu que le problème était l’embargo, alors que pas du tout. C’était une société qui faisait de l’induction d’eau sur le territoire qatari et ils n’avaient pas remarqué que l’induction d’eau depuis les réserves étaient complètement saturées, donc toutes les canalisations étaient déjà faites. Et ce qu’il fallait ensuite faire c’était distribuer l’eau depuis les points centraux vers les habitations, les usines… Donc il a fallu comprendre le go to market, l’adapter et adapter également l’outil industriel. Ce n’est pas une restructuration très dure mais le point important est qu’il faut toujours faire son propre diagnostic de l’entreprise. Quand vous prenez une mission vous avez toujours des informations qui sont en partie vraies, mais ce n’est jamais complètement la solution, il faut vraiment en avoir conscience et le tenir.  

Une autre expérience qui était intéressante est en Inde, où sur le papier il y avait du cash et il n y avait pas de problèmes sauf quelques points bizarres dans les reportings. Et quand je suis arrivée en Inde, on n’avait pas de quoi payer les salaires à la fin du mois alors qu’en principe on avait largement de quoi faire. Le système français aujourd’hui des procédures de sauvegarde n’existait pas en Inde à ce moment-là, impossible d’avoir un prêt du siège, impossible d’avoir un prêt bancaire, vraiment droit dans le mur. Donc la solution c’est d’aller voir les fournisseurs en leur disant je ne peux pas vous payer à la fin du mois et en plus j’aimerais bien que vous m’aidiez, donc c’est assez complexe. Et puis c’était un contexte très compliqué parce que la société n’inspirait pas confiance auprès des fournisseurs (les fournisseurs avaient toujours eu d’énormes délais de retard). Et là, il a fallu “jouer” sur le fait que je n’étais pas local, j’étais envoyé aussi par le siège pour pouvoir débloquer la situation et trouver des solutions à long terme. Et donc je me suis engagé personnellement à tenir la parole de la société.
Ensuite nous avons beaucoup travaillé avec les fournisseurs, nous leur avons envoyé des matières premières, nous avons revu le programme d’approvisionnement à la baisse, utilisé tous les stocks d’en cours qu’on avait. Nous avons retravaillé à fond là-dessus mais sans le support des fournisseurs, on n’arrivait pas du tout à passer le cap des 15 premiers jours. C’était à la fois hyper intéressant parce que vous devez trouver des solutions, des raisons pour pouvoir le faire, vous devez trouver rapidement des solutions qui vont pérenniser votre solution, l’expliquer aux fournisseurs, remonter vos manches à fond mais et il faut y aller, ne pas avoir peur de bouger.  

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