Les défis de l’international

Visionnez ensuite la partie 2 :

Interview écrite résumée | DG

Partie 1

Quels sont les enjeux de la gestion d’une entreprise à l’international ? (Chine & Europe Centrale)

La première chose à faire, mais c’est pareil dans tous les pays du monde je pense, c’est comprendre les vrais objectifs, les vrais enjeux. Ensuite c’est comprendre les agendas cachés des personnes. Quand vous êtes en France, vous savez à peu près ce que les personnes attendent réellement d’un projet, quels sont les tenants et aboutissants. Quand vous faites un projet Franco-chinois par exemple, l’agenda des personnes en Chine est fondamentalement différent. Il y a très souvent un enjeu politique, et l’enjeu politique on le retrouve même dans l’entreprise parce qu’il y a toujours des membres du parti communiste; vous devez le savoir et l’intégrer. Si vous ne l’intégrez pas, il y a des choses que vous ne comprendrez pas et des choses qui ne pourront pas se faire. Parmi les choses qui ne peuvent pas se faire, vous ne pourrez pas facilement employer les personnes que vous voulez. Même si vous les recrutez et que vous les trouvez parfaits, vous aurez des bâtons dans les roues pour les embaucher, ce sont des éléments importants. Donc il faut comprendre tous ces enjeux, le véritable agenda des uns et des autres.  

Aussi, il faut également que l’actionnaire, qu’il soit français ou européen, puisse admettre que sa manière de voir les choses n’est pas nécessairement la même manière, le même objectif que son partenaire en Asie. Donc le rôle du dirigeant sur place est de comprendre l’agenda caché encore une fois, de le faire remonter auprès de l’actionnaire qui finalement est le payeur et donc in fine le responsable du projet. Faire en sorte qu’il accepte ou qu’il transige, et voir les points sur lesquels il faut négocier, avancer, les points incontournables. Je pense que c’est le véritable enjeu de ces gestions qu’on peut avoir à l’étranger ; en Chine, mais également en Europe centrale, l’Europe de l’Est, les autres pays où j’ai beaucoup travaillé.  

Un autre point qui est important c’est de connaitre pour qui on travaille. Et c’est vrai que la tendance quand on est très loin, et c’est plus le cas en Chine qu’en Europe centrale, c’est de se laisser influencer finalement par les personnes avec lesquelles on travaille au quotidien. Si vous êtes dans l’agenda d’un groupe chinois ou d’un partenaire chinois, il y a des choses qu’ils veulent et que l’investisseur français ne veut pas avoir. À la fin, vous risquez d’être un petit peu influencé. Donc il faut vraiment être très clair avec qui est votre employeur finalement. Ce n’est pas seulement qui vous paye, mais c’est aussi connaitre l’objectif global du projet, s’y tenir, et avancer avec cela en tête.  

Quels sont vos conseils en termes d’adaptation aux cultures ?

L’adaptation aux cultures est un point de fond. La plus grosse difficulté du management de transition ou pas, à l’international, c’est la compréhension de la culture et l’adaptabilité à ces cultures. On dit toujours qu’en Chine, il ne faut pas que les personnes perdent la face, c’est vrai. Mais d’un autre côté, quand vous voyez un paysan en Bretagne ou en Savoie par exemple, il n’aime pas non plus perdre la face. Donc il y a des choses qu’il faut comprendre, des choses avec lesquelles il faut jouer, mais on ne peut pas non plus abandonner sa manière d’être, sa manière d’agir, sa manière de raisonner. Il faut garder sa culture, garder ses valeurs, car c’est hyper important, et travailler en intégrant les autres perceptions, les autres traductions de la culture. Au Japon et en Chine par exemple, vous aurez rarement un “non” à une question, mais vous avez des manières de savoir que la personne qui est en face, même si elle dit oui, elle ne sera pas d’accord avec cette acception. Donc il faut trouver une autre manière d’arriver à l’objectif parce qu’il y a des points de blocage, et ces points de blocage, il faut les identifier.  

Et il y a un aspect que je trouve très important, c’est de comprendre la religion des personnes. Moi j’ai ma propre religion, ce sont des valeurs auxquelles je tiens et il y a des valeurs dans d’autres religions qui sont extrêmement importantes, utiles, agréables aussi, et on peut très bien relier ces différents aspects. 

Enfin, un autre point qui est important dans la culture c’est la compréhension et l’acceptation de la RSE. Quand j’étais en Chine, en 2015 environ, les Chinois ont décrété qu’il ne fallait plus jeter ses déchets dans les rivières. Dans l’usine où j’étais, les personnes disaient que ça allait augmenter les coûts et j’ai dit oui mais en Europe, aux Etats-Unis et dans plusieurs pays c’est ainsi depuis au moins une vingtaine d’années et si on continue à polluer les rivières, où allons-nous ? Et là c’est également un long cheminement et ce cheminement il faut le faire passer et le faire comprendre.  

Pourriez-vous nous citer deux exemples de restructuration à l’international ?

Je vais vous présenter deux exemples. 

Le premier exemple c’est au Qatar. C’est une société qui était dans un business model que je connaissais très bien. Au Qatar, il y a eu un embargo donc les produits avaient d’énormes problèmes et on a fait appel à moi pour aider le dirigeant de la filiale qatarie, qui était également le fils du fondateur. Tout le monde mettait l’embargo en avant comme si cela pouvait tout expliquer. Et finalement en arrivant, il a fallu faire du coaching de ce jeune homme, qui était convaincu que le problème était l’embargo, alors que pas du tout. C’était une société qui faisait de l’induction d’eau sur le territoire qatari et ils n’avaient pas remarqué que l’induction d’eau depuis les réserves étaient complètement saturées, donc toutes les canalisations étaient déjà faites. Et ce qu’il fallait ensuite faire c’était distribuer l’eau depuis les points centraux vers les habitations, les usines… Donc il a fallu comprendre le go to market, l’adapter et adapter également l’outil industriel. Ce n’est pas une restructuration très dure mais le point important est qu’il faut toujours faire son propre diagnostic de l’entreprise. Quand vous prenez une mission vous avez toujours des informations qui sont en partie vraies, mais ce n’est jamais complètement la solution, il faut vraiment en avoir conscience et le tenir.  

Une autre expérience qui était intéressante est en Inde, où sur le papier il y avait du cash et il n y avait pas de problèmes sauf quelques points bizarres dans les reportings. Et quand je suis arrivée en Inde, on n’avait pas de quoi payer les salaires à la fin du mois alors qu’en principe on avait largement de quoi faire. Le système français aujourd’hui des procédures de sauvegarde n’existait pas en Inde à ce moment-là, impossible d’avoir un prêt du siège, impossible d’avoir un prêt bancaire, vraiment droit dans le mur. Donc la solution c’est d’aller voir les fournisseurs en leur disant je ne peux pas vous payer à la fin du mois et en plus j’aimerais bien que vous m’aidiez, donc c’est assez complexe. Et puis c’était un contexte très compliqué parce que la société n’inspirait pas confiance auprès des fournisseurs (les fournisseurs avaient toujours eu d’énormes délais de retard). Et là, il a fallu “jouer” sur le fait que je n’étais pas local, j’étais envoyé aussi par le siège pour pouvoir débloquer la situation et trouver des solutions à long terme. Et donc je me suis engagé personnellement à tenir la parole de la société.
Ensuite nous avons beaucoup travaillé avec les fournisseurs, nous leur avons envoyé des matières premières, nous avons revu le programme d’approvisionnement à la baisse, utilisé tous les stocks d’en cours qu’on avait. Nous avons retravaillé à fond là-dessus mais sans le support des fournisseurs, on n’arrivait pas du tout à passer le cap des 15 premiers jours. C’était à la fois hyper intéressant parce que vous devez trouver des solutions, des raisons pour pouvoir le faire, vous devez trouver rapidement des solutions qui vont pérenniser votre solution, l’expliquer aux fournisseurs, remonter vos manches à fond mais et il faut y aller, ne pas avoir peur de bouger.  

Partie 2

Quels ont été les challenges majeurs de votre expérience de DG d’usine en Inde ?

C’est vraiment de casser les barrières. C’est quand même un pays où on le sait, qui est extrêmement hiérarchisé avec les castes, même si elles n’existent plus officiellement, dans les faits ça existe et ça reste très puissant. Mais c’est réussir à impliquer tout le monde, y compris la base. La base se plaignait énormément du management et c’est vrai qu’il y avait un management qui était très lourd, pas très actif, très dans la réunionite. Et quand il y avait des propositions qui venaient des ouvriers, certaines étaient excellentes, extraordinaires, et ça évitait des gâchis terribles ; mais ce n’était pas remonté soit parce que ça venait pas du middle management, soit parce que on avait peur de le faire remonter. Donc il y avait réellement une coupure entre la base et un certain nombre de personnes. Là où j’ai taillé, c’était beaucoup plus dans le middle Management, en leur donnant des objectifs, en réduisant quand même la voilure à ce moment-là, et en travaillant avec eux au quotidien.


L’autre challenge c’était les politiques
parce qu’en Inde il n y a pas de financement des partis politiques, donc les partis politiques doivent se débrouiller et souvent viennent les entreprises. Quand je suis arrivé, on m’a dit « Monsieur Carlier, n’oubliez pas, demain c’est le jour des enveloppes ». Alors ce n’est pas oublié, je n’avais jamais su, et surtout c’est hors de question. C’est une boîte européenne, donc il n y a pas d’enveloppe et surtout pas de financement des partis politiques, c’est absolument exclu. Donc j’ai reçu le député, je lui ai dit qu’on ne faisait pas ça, et il m’a dit « vous savez, on peut fermer l’usine, c’est facile ». Et finalement, de fil en aiguille, on a travaillé ensemble. Je ne lui ai jamais donné d’enveloppe, je lui ai donné des produits qui étaient un petit peu vieux qu’on allait scrapper, donc il a pu les utiliser et les donner. Et lui, son objectif c’était d’employer du monde, des personnes des villages alentours et de donner des cahiers aux écoliers, de supporter l’éducation. Et nous avons créé quelque chose tous les deux où lui il apportait la main d’œuvre et nous fournissions un atelier et de l’eau. On a récupéré ensemble, parce qu’il y avait également une entreprise qui faisait de la récupération de déchets, des papiers, des carton, des emballages de nos usines et des usines alentours, et nous les avons recyclé pour en faire des cahiers d’écoliers. Et nous avons créé une association qui est ensuite une ONG qui s’appelle collection for Education et ça a très bien marché, depuis 2015 ça tourne encore.

Quelles sont vos méthodes pour gérer de grands projets en multisites, à l’international ?

Je pense qu’il y a un élément très important, c’est d’avoir son propre réseau sur place. Quand vous travaillez en multi site, ne faites pas confiance uniquement aux rapports et les rapports ne vont pas tout vous dire. Donc il faut aller sur place, il faut discuter avec les gens sur place, il faut passer du temps avec eux. Il faut aller dîner avec eux, faire des sorties avec eux… mais il faut vraiment être sur place, donc ça veut dire qu’il faut voyager et prenez vos chaussures de sécurité avec vous. C’est à dire que quand vous êtes dans un atelier, vous mettez vos chaussures de sécurité parce que c’est obligatoire et il faut vraiment aller dans les ateliers, à tous les niveaux de l’entreprise. Ce n’est pas toujours évident de discuter parce qu’il y a souvent de gros problèmes de langue, mais faut comprendre les personnes, il faut aller vers eux, les écouter, les considérer, c’est très important.

Également l’un des mots clés est toujours la transparence et elle paye à tous les niveaux. Je pense qu’il n y a pas de messages que les personnes ne puissent pas comprendre, il n y a pas de message qu’il faille cacher parce que ce n’est jamais bon mais il y a toujours des façons d’expliquer, de justifier.

Et nous les managers, nous n’avons pas toujours raison. Nous avons besoin d’avoir l’opinion d’autres personnes quel que soit le niveau. Quand les personnes connaissent l’entreprise, souvent ils aiment leur entreprise et ça il faut bien s’en souvenir aussi, et quand on aime son entreprise, on aime son outil de travail, on a envie de le préserver. Donc on a des idées et ces idées sont souvent pertinentes, il faut simplement les mettre en valeur. C’est mon avis, mais c’est pareil, je dirais en France et à l’étranger.

La difficulté à l’étranger c’est que quand vous débarquez dans une usine, vous êtes un peu une bête curieuse donc il ne faut pas avoir peur de ça. Et puis surtout il faut être capable de dialoguer, de discuter avec tout le monde. Ce n’est peut-être pas donné à tout le monde mais c’est possible. Il ne faut pas avoir peur d’aller vers les personnes et les côtoyer, car on ne peut comprendre un certain nombre de choses qu’en les vivant.

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